Anonym'A (mode d'emploi)

_ C’est ta famille ou le paysage, Sam, mais tu me fais plaisir et tu cesses de les  prendre en photo l’une devant l’autre !

Mon regard étonné suit le mouvement trop rapide des mains amies sur le portfolio. Des pages  moelleuses et du papier de soie où mon père fait la gueule quand ma mère s’en fout, quelque soient l’endroit et la saison. Elle sourit, elle pose…

 Le cliché, cependant, est bien cadré. L’image est nette…

_ Chacun sa façon de faire ! dis-je.

J’ai vingt ans et l’épiderme plus sensible qu’aujourd’hui  mais les idées nouvelles s’y collent comme autant de patchs.  C’est ma vie, je me nourris de hasard, de rencontres et de discussion. Je tente, je rate mais mon œil s’ouvre à la mesure de l’initiation puis vient la médaille.

Un Réflex de marque offert par un autre de mes proches. Une marque de confiance à mon égard.

J’ai trente ans.

Je traque les tons morts ou vifs d’une porte, l’ombre d’une venelle,  l’éclat de l’onde et le feu du ciel. Désormais, j’avantage l’attribut du sujet ou le complément de lieu. Je scénarise mes albums mais …

_ Tu pourrais photographier quelqu'un devant cette fenêtre ou près de la flaque d’eau, non ? La comme ça…, j’sais pas…, Je n’y vois pas trop d’intérêt.

_ Chacun sa façon de faire, dis-je encore.

J’ai quarante ans et je passe au numérique. A l’informatique. Un plaisir immédiatement  partagé et commenté. Une réciproque. Un constat.

Je suis fasciné par les portraits, ces visages que d’autres tirent sans toucher aux rides. Les épreuves.

J’aime aussi les faces irradiées par toute une vie de bonheur mais, à l’inverse de mes compagnons photographes, je n’ose pas lever mon appareil.  Le geste est violent et chacun détient un droit sur son image que nous ne pouvons bafouer sur la toile.  C’est mon humble avis…

J’ai quarante cinq ans et l’envie demeure.

Elle s’éparpille dans toute ma main droite puis fonce jusqu’à l’extrémité de mon index qui tire.

La victime est de dos, ignorante mais offerte à mon Réflex sodomite.

 Plaisir coupable. Furtif.

Un concept qui s’affine un peu plus à chaque image.

Leur anonymat contre une identité visuelle de photographe.

La mienne. 

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