Il faut s’égarer dans Venise, tout le monde le dit, mais les groupes de touriste paraissent effrayés à l’idée de perdre le parapluie de leur guide. Ils ne le quittent pas des yeux et deviennent effrayants d’indifférence sur ce qui les entoure. Des moutons sur la place San Marco, le pont du Rialto et celui de l’Académia où le chef tour-operator désigne « un » magasin de souvenirs. Il y en a des centaines dans la ville mais c’est dans ce bouge qu’il faut entrer. Alors, en bon disciples de panurge, le troupeau se rue sur les gondoles en verre de Murano et ne remarquent pas le manège. A peine sorti des poches, leur euros sont déjà blanchis, en effet. Une commission des mains du vendeur à celles de l’accompagnateur.
Bien sur, je suis dans le cliché mais la Sérénissime est ainsi. Une caricature d’elle même. Un parc d’attraction où tout serait vrai. Même les cons.
Il faut se perdre, nous dit-on. Quitter ce triangle d’or pour celui des Bermudes, fuir la foule hystérique, éviter les « gondoli, gondola » des hommes en polos rayés et chapeau de paille qui, du reste, ne chantent plus la ballade mais vous abreuvent de conversations GSM en rêvant d’antennes relais sur la proue de leurs gondoles.
Il faut se perdre, vous dis-je. Se faufiler dans les ruelles adjacentes, franchir un pont anonyme, s’aventurer dans un passage et trouver Venise sur un campo quasi désert, dans une église isolée, ou à la table d’une authentique trattoria.
Au petit matin, c’est mieux encore.
Dans le quartier Dorsoduro où seuls les amateurs d’art contemporain s’avancent à la recherche de Peggy Guggenheim et de François Pinault, Venise m’appartient. Je suis son amant de passage et, à cette heure encore, son photographe particulier.
J’immortalise la barge maraichère qui agite l’onde du canal et s’installe non loin de là. Je vise le vaporetto et son flot de travailleurs bientôt déversé sur le quai.
Certain d’entre eux prennent le temps d’une halte à l’étal flottant, des écoliers s’attardent de concert quand une étudiante se presse… Des instants de vie qui, déjà, se perdent au fil des rues.
Reste les images.